Friguia: L’usine d’alumine en passe d’être relancée
Après quatre années de fermeture, consécutive à un mouvement de grève de ses travailleurs, l’espoir de voir l’usine d’alumine de Fria, la première en terre africaine, reprendre ses activités renait avec la signature, fin avril, d’un accord entre le gouvernement guinéen et la société Rusal, un des leaders mondiaux de l’aluminium, cotée aux bourses de Hong-Kong et de Moscou.
L’arrêt systématique de ce grand symbole de l’industrie minière guinéenne, en avril 2012, a non seulement privé l’Etat guinéen d’une importe source de recettes en devises (la contribution du secteur minier guinéen aux recettes totales de l’Etat s’élevait à 17%, selon l’ITIE), mais conduit également au chômage des milliers d’employés directs et indirects. Cette situation a aussi et surtout mis KO les quelque 10.000 habitants de la ville, qui se sont vus sevrer de toutes commodités offertes (eau, électricité et soins de santé) par le fonctionnement normal de cette usine passée, respectivement, entre les mains des Français (Péchiney), Américains (ACG) et Guinéens, avant d’échoir aux Russes dans les années 2000.
Construite aux premières heures de l’indépendance guinéenne, l’usine d’alumine de Fria reste jusque-là l’unique unité de transformation de la bauxite en alumine. Les autres compagnies opérant dans le pays, notamment la Compagnie de bauxite de Guinée, dans la région de Boké, se contentent d’exporter le brut. Les opérateurs miniers ont souvent invoqué le manque d’énergie pour expliquer leurs difficultés d’implanter des usines d’alumine et d’aluminium en Guinée. C’est pour pallier cette situation que le gouvernement guinéen s’investit désormais dans la réalisation de barrages hydroélectriques tels que Kaléta et Souapiti sur le fleuve Konkouré.
Des prétextes à la pelle
Mais pour certains analystes, le manque d’énergie n’est qu’un prétexte que brandissent les multinationales pour masquer leur refus d’implanter des chaines de transformation complètes des ressources naturelles Afrique. Sinon, comment expliquer que toutes compagnies minières évoluant en Guinée n’aient pas pu investir dans le secteur énergétique, alors que le pays considéré à juste titre comme le château d’eau de l’Afrique occidentale. Les géants de l’aluminium arguent souvent aussi que le manque d’une main d’œuvre qualifiée en Afrique les oblige à se tourner vers des pays comme l’Australie, l’Inde et la Corée pour implanter leurs industries. Au grand dam d’un pays comme la Guinée, qui détient les deux tiers des réserves mondiales de bauxite (estimées à 40 milliards de tonnes), mais dont la seule usine d’alumine (Friguia) n’en produit que deux pour cent des besoins mondiaux.
Avec la reprise annoncée des activités de l’usine de bauxite et d’alumine Friguia, la société Rusal qui produit pas moins de 7% de l’alumine utilisée dans le monde, compte accroitre progressivement la capacité de cette unité industrielle pour atteindre entre 550.000 et 600.000 tonnes d’alumine par an. Dans une deuxième phase, la société russe élaborera un projet définitif et une étude de faisabilité de modernisation de l’usine Friguia avec la possibilité d’accroissement de sa capacité jusqu’à hauteur de 1.050.000 tonnes par an.
Un marché mondial défavorable
A la signature de l’accord avec la partie guinéenne, Vladislav Soloviev, directeur général de RUSAL a indiqué que l’état actuel de l’industrie mondiale d’aluminium ne favorise pas l’investissement dans ce secteur. C’est pourquoi il a été décidé de se concentrer sur la remise en service des capacités existantes de Friguia, qui comprend une mine de bauxite, une usine d’alumine, un chemin de fer et d’autres éléments de l’infrastructure.
Les autorités guinéennes se sont réjouies de l’engagement de Rusal de relancer Friguia et ont dit comprendre la décision de la compagnie russe de différer la réalisation de l’usine d’alumine de Dian-Dian, en Basse Guinée, au regard des conditions actuelles du marché de l’alumine. Thierno Fodé Sow, un travailleur de Rusal Friguia, a favorablement accueilli l’annonce de la relance de l’usine de Fria, mais reste perplexe sur le respect du calendrier avancé. Pour Aboubacar Akouma Diallo, journaliste spécialisé dans les mines, ce nouvel accord entre le gouvernement guinéen et la société Rusal n’est ni plus ni moins qu’une fuite en avant.
Néné Moussa Maléah Camara, un cadre du ministère des mines souhaite que le cas de Fria, comme ceux de Kignéro (Kouroussa) et Zogota (Nzérékoré), où opéraient respectivement la Sémafo et Vale, servent de leçons aux Guinéens. Toutes ces unités, rappelle-t-il, ayant été fermées à la suite de mouvement de grèves des travailleurs. « Parfois, on peut avoir raison dans ses revendications, mais il faut être patient et écouter l’Etat pour être dans ses droits », estime-t-il.
Bachir Sylla