Assemblées annuelles 2022 de la BAD à Accra : Sidy Mouctar Dicko dresse le bilan de la participation guinéenne
(Guinée Eco)-Sidy Mouctar Dicko, secrétaire exécutif de la Cellule technique de suivi des programmes au ministère de l’Economie, des Finances et du Plan a conduit la délégation guinéenne aux récentes assemblées annuelles 2022 de la Banque Africaine de Développement. Au micro de l’envoyé spécial de Guinee.eco.info il tire le bilan de la participation de sa délégation à ces assemblées qui se sont tenues du 23 au 27 mai 2022. Entretien :
Guinee-eco.info : Au terme des assemblées annuelles 2022 de la Banque africaine de développement qui viennent de prendre fin à Accra, qu’est-ce qu’on peut retenir de la participation de la délégation guinéenne à cette rencontre?

Sidy Mouctar Dicko : Notre participation a eu un avantage, celui de rencontrer plusieurs partenaires et la haute direction de la Banque africaine de développement. Nous avons vu la vice-présidente, qui est chargée des opérations. Et nous avons indiqué à cette vice-présidente les inquiétudes de la partie guinéenne. Vous savez, nous détenons un certain nombre de ressources qui se trouvent non encore engagées sur le FAD 15 qui arrive à échéance au 30 juin 2022. Notre mission prioritaire était de sécuriser ces ressources pour ne pas qu’à l’échéance du 30 juin que ces ressources soient annulées.
Guinee-eco.info : A quelle hauteur se situe ces ressources ?
Sidy Mouctar Dicko : A 725 millions de dollars, soit 75 millions d’unités de compte pour deux secteurs importants de notre pays : l’agriculture et l’énergie. Quand nous avons obtenu cela, nous avons convaincu la haute autorité de la Banque de sécuriser ces ressources, d’autant plus que les projets concernant ces deux secteurs qui sont arrivés à maturité et qu’il est important de ne pas perdre ces ressources. Deuxièmement, nous avons engagé des discussions pour le FAD16 qui suit. Le Fonds africain de développement est un fonds, un guichet concessionnel de prêts en direction des pays vulnérables et pauvres. Nous faisons partie de la catégorie là et donc il fallait préparer aussi l’arrivée de ce FAD 16. Nous avons discuté sur ça et nous avons donné des informations sur les développements récents en matière de politique en Guinée, en matière d’économie et en matière sociale. Nous avons indiqué que les conditions de fragilité nécessitent le support de la Banque africaine de développement pour ne pas que le pays bascule dans certaines difficultés. D’autant plus que les projets visés concernent non pas le gouvernement en tant que tel, mais concernent les populations guinéennes qui sont directement bénéficiaires de ces projets.
Guinee-eco.info : Quels sont les projets phares de la Banque africaine de développement en Guinée?
Sidy Mouctar Dicko Les principaux projets phares pour lesquels nous nous sommes battus, c’est le secteur de l’agriculture et le secteur de l’énergie. Dans le secteur de l’énergie, nous cherchons à faire en sorte que la BAD nous appuie pour réaliser les infrastructures de transport de l’énergie électrique des zones de production des centrales Souapiti et Kaléta vers les zones qui ne sont pas actuellement desservies par EDG (Ndlr : Electricité de Guinée), notamment la Haute-Guinée et une partie de la région forestière. Parce qu’actuellement, comme vous le savez, Souapiti et Kaléta produisent plus d’énergie qu’on en consomme en réalité. Donc, il faut faire en sorte qu’il y ait le transport de l’énergie électrique vers ces zones-là, de manière à ce que les populations puissent bénéficier des avantages de l’électricité. Vous savez, l’électricité est le moteur des PME. L’électricité est le moteur des activités dans toutes les régions. Donc c’était indispensable qu’on puisse sécuriser cela. Ensuite, la BAD veut nous appuyer dans le domaine de la gouvernance, en particulier pour la mobilisation des ressources internes, notamment en finançant les audits que le ministère du Budget veut mener dans le secteur des compagnies minières, des compagnies financières et des compagnies de téléphonie. Donc, nous avons parlé de ces questions et on a réussi à sécuriser cette question. Nous avons aussi demandé à la BAD de nous appuyer pour la réalisation d’une étude de base en vue de créer un marché financier local. Le marché financier, c’est la mobilisation de l’épargne nationale, privée et publique pour financer le développement. Donc, ils nous ont promis qu’ils vont nous envoyer des équipes techniques pour procéder à l’analyse de la situation et élaborer une documentation.
Guinee-eco.info : Est-ce que le fait que la Guinée ne soit pas représentée par un ministre ou par un gouverneur de la Banque centrale a limité un peu votre rayon d’action pendant ces assemblées?
Sidy Mouctar Dicko Non…ça n’a pas limité parce que nous avons eu la chance d’être reçus par la vice-présidente de la banque chargée des opérations. C’est fondamental. Mais, c’est vrai que si Monsieur le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan était là, il aurait rencontré le Président. Nous avons déjà préparé le terrain pour qu’après la tournée du gouvernement à l’intérieur du pays, que le ministre de l’Economie et des Finances du Plan, qui est le gouverneur pour la BAD, puisse se rendre à Abidjan pour discuter avec la Haute autorité de la Banque. Donc, ce sont les jalons qui ont été posés. Et nous avons eu aussi l’occasion de rencontrer beaucoup de partenaires dont le Fonds saoudien pour le développement. Ce sont eux-mêmes qui ont demandé à nous rencontrer pour vous dire l’intérêt qu’ils ont pour notre pays. On a rencontré la délégation française avec qui nous avons échangé des enjeux qui sont actuellement en cours au plan économique dans notre pays.
Guinee-eco.info : Il y a eu la publication du rapport sur les perspectives économiques qui a souligné l’impact de la pandémie de Covid 19 et de la guerre russo- ukrainienne sur les économies africaines. Au niveau de la Guinée, qu’est-ce qu’on peut retenir comme impacts négatifs la guerre en Ukrainienne sur notre économie?
Sidy Mouctar Dicko Nous avons nous mêmes mené une étude au ministère de l’Economie, des Finances et du Plan sur l’impact de la guerre en Ukraine sur la projection de croissance initialement faite. Vous savez, en janvier, on avait fait un travail sur la projection de croissance sur laquelle on avait bâti la loi de finances 2022. Et cette projection était de 5.6 %. Mais après la guerre, le 24 février, nous avons donc dit qu’il faut regarder ce qui se passe là. Nous avons regardé l’impact. Vous savez que la Russie est un client. L’exportation de la bauxite et de l’alumine de Fria qui est gérée par Rusal, nous avons regardé l’impact. On a regardé aussi sur les importations que nous avons avec l’Ukraine et la Russie et de plus généralement, l’impact sur l’inflation. Donc, nous avons pensé que selon nos premières études, la guerre en Ukraine va avoir une incidence sur la baisse de notre projection de croissance qui était de 5.6 à 4.8. Donc on aura une baisse de 1.2. Et par rapport à cette situation, nous pensons que c’est évolutif. Si la guerre arrivait à s’arrêter à temps, les chiffres vont être révisés. Si elle persiste jusqu’à la fin de l’année, les chiffres aussi vont être révisés. Pour le moment, nous sommes dans ça. Donc, à l’instar de toutes les nations du monde, c’est l’incidence. Là, elle est là, elle existe et il faut qu’on tienne en compte. Il y a aussi le fait que la pandémie n’est pas complètement maitrisée. C’est notre principal client qu’est la Chine où nous envoyons la bauxite. Si l’industrie métallurgique chinoise s’arrête ou en tout cas décroit, ça va agir sur les exportations de bauxite en Guinée et nous allons réviser nos prévisions. Mais pour l’instant, vraiment, nous sommes relativement à l’abri d’une incidence plus large de ces deux facteurs.
Guinee-eco.info : Par rapport au Fond africain de développement, il y a eu beaucoup de plaidoyers allant dans ce sens de permettre par exemple Fonds monétaire internationale d’aider le FAD à avoir plus de ressources à travers les dettes et les DTS. Mais pour le FAD de seize dont vous faisiez allusion, on a parlé de contraintes à lever pour permettre à ce fonds d’aller sur les marchés financiers…
Sidy Mouctar Dicko En fait, ce que la BAD nous a proposé cette année, c’est de dire à tous les pays, nous sommes les gouverneurs de la BAD, nous sommes actionnaires, propriétaires et clients de la Banque. Et ils nous ont dit, il faut nous soutenir pour que les dispositions juridiques qui existaient avant, qui disaient que le FAD ne pouvait pas aller sur le marché financier, il faut que cela soit levé. Donc, tous les chefs d’État membres des pays membres de la BAD ont envoyé une lettre de soutien dans ce sens à la présidence de la BAD pour dire : « nous soutenons la proposition de la BAD de lever cette disposition juridique pour permettre aux ressources de FAD d’aller sur les marchés et de mobiliser quatre fois plus de ressources pour pouvoir intervenir davantage dans nos pays ». Ça, c’est fait. Nous avons soutenu fortement la BAD et dans cette proposition-là. Ensuite, il y a autre chose. C’est que le Fonds monétaire international a fait une allocation additionnelle de DTS à hauteur de 650 milliards de dollars. Sur les 650 milliards de dollars, seuls les pays pauvres qui ont besoin de l’équilibre de leur balance des paiements. Donc la Guinée, en a bénéficié. On a baissé de 205 millions de DTS, donc 284 millions de dollars. On a bénéficié.
Guinee-eco.info : Quand ?
Sidi Mouctar Dicko Ça s’est fait en août 2021, mais ça n’a commencé à être consommé qu’en 2022. Maintenant, tous les pays membres ont reçu leur quote part. Certains pays riches ont dit qu’ils ne vont pas avoir besoin et qu’ils vont donc alimenter un fonds qu’on appelle le fonds fiduciaire de résilience et de durabilité. Et par rapport à ce fonds fiduciaire de résilience et de durabilité, c’est là où la BAD aussi demande à accéder à une partie des fonds non utilisés par les pays riches pour accroître sa capacité de financement. Nous, les pays membres, on a soutenu la BAD dans cette démarche pour demander au Fonds monétaire d’utiliser une partie des DTS pour alimenter les ressources de la BAD en vue de lui permettre d’accroître sa capacité , parce que la Banque mondiale va recevoir la Banque africaine. Ce sont des institutions de financement du développement. Nous avons soutenu notre banque dans ce sens et les résolutions en font foi. Quand vous lisez le communiqué final, vous verrez que nos pays membres ont soutenu cela de manière très forte.
Guinee-eco.info : On a célébré les 50 ans du Fonds africain de développement par ces assemblées. Est-ce qu’on peut avoir une idée des incidences de ce fonds sur la Guinée?
Sidi Mouctar Dicko : Nous sommes au guichet FAD. Tous les prêts et tous les dons que nous recevons de la Banque africaine de développement sont à travers le FAD. Donc, nous sommes les premiers demandeurs du FAD. Nous sommes les bénéficiaires du FAD. Vous verrez par exemple que l’année dernière, par rapport à Covid, le FAD nous a donné beaucoup d’argent. On a reçu environ 40 millions de dollars au titre du soutien pour le plan de riposte à la Covid. Le guichet FAD est un taux concessionnel où tous les pays pauvres peuvent accéder sans mettre en danger le service de la dette extérieure. Donc, nous devons tout faire pour encourager le FAD.
Guinee-eco.info : Justement, sur le plan de la dette extérieure, une publication récente indique qu’il y a une envolée de cette dette. Qu’est ce qui peut expliquer cela?
Sidy Mouctar Dicko C’est faux, c’est faux. J’ai vu ça sur un site d’informations guinéen, mais ce n’est pas vrai du tout. Je ne sais pas où il tire les chiffres. Il faut aller vérifier à la direction de la dette.
Guinee-eco.info : Quel est niveau actuel de la dette extérieure guinéenne alors ?
Sidy Mouctar Dicko Actuellement, nous sommes aux alentours de 3,2 ou 3,4 milliards de dollars américains. Si je ne me trompe, et combiné à la dette intérieure, le taux, le ratio, nous sommes à 42 %. Nous sommes dans la zone modérée à faible en matière d’endettement. Mais j’ai vu un chiffre qui me parle de 7 milliards. Je n’en revenais pas. C’est complètement faux. Il faut aller à la Direction générale de la dette et vérifier les chiffres avec exactitude. Heureusement que du 1er au 7 juin, nous allons recevoir une mission du Fonds monétaire international qui va confirmer les chiffres. Si vous êtes à Conakry, je vous convie à venir assister à la conférence de presse.
Guinee-eco.info : Un dernier mot pour clore cet entretien
Sidi Mouctar Dicko : Il faut aller à la source, avoir les informations, pour que vos lecteurs puissent avoir accès à la bonne information comme vous le faites maintenant. Merci beaucoup.
Propos recueillis par Bachir Sylla, envoyé spécial